FILIOQUE (QUERELLE DU)

FILIOQUE (QUERELLE DU)
FILIOQUE (QUERELLE DU)

FILIOQUE QUERELLE DU

Nom donné à un conflit théologique qui a séparé et sépare encore l’Occident et l’Orient chrétiens et à l’origine duquel on trouve deux approches, différentes mais non opposées, du mystère de l’Esprit au sein de la Trinité. Les Pères latins, ainsi que certains Pères alexandrins, tel saint Cyrille d’Alexandrie, ont insisté sur la manifestation éternelle de l’Esprit, sa processio disent les premiers, son proienai disent les seconds, «du Père et du Fils», a Patre Filioque . Les Pères grecs, à partir du IVe siècle, ont plus nettement mis l’accent sur l’antinomie de l’Uni-Trinité définie comme une seule essence en trois hypostases: le Père «principe sans origine», le Fils «engendré» par le Père, l’Esprit qui vient (ekporeuétai , selon la formule de Jean, XV, 26) du Père, unique «cause» de la Trinité («monarchie» du Père). Ainsi la processio latine et l’ekporeusis grecque sont loin de s’identifier.

Jusqu’au VIIIe siècle, personne ne ressent de contradiction entre ces deux approches. Les Occidentaux reçoivent le symbole de Nicée-Constantinople: «Je crois [...] au Saint-Esprit [...] qui vient du Père», tout en donnant eux-mêmes valeur dogmatique au Filioque dans toute une série de conciles locaux (Tolède, en 447; Tolède, en 589; Heathfield, en 680; Gentilly, en 767; Aquilée, en 797). Au VIIe siècle, un des plus grands théologiens grecs, Maxime le Confesseur, venu en Occident à la suite des invasions musulmanes, apaise les inquiétudes soulevées à Constantinople par la lettre synodique du pape Théodore, en expliquant que les Latins «n’ont pas fait du Fils la cause de l’Esprit; ils savent, en effet, que le Père est la cause unique du Fils et de l’Esprit, de l’un par génération et de l’autre par l’ekporèse, mais ils ont montré sa manifestation (to dia autou proienai ) et souligné ainsi l’unité et l’identité de l’essence».

La querelle éclate au IXe siècle, lors de la constitution d’un Occident carolingien opposé à Byzance, puis de la rivalité des missionnaires grecs et latins en Bulgarie. L’ignorance réciproque des langues, l’identification aveugle des mots processio et ekporeusis favorisent l’affrontement. En 807, les moines latins du mont des Oliviers en appellent au pape et à l’empereur d’Occident. Les théologiens francs accusent les Grecs d’hérésie: ils ont amputé le credo du Filioque . À l’inverse, dans son Encyclique aux Patriarches orientaux (867), le patriarche de Constantinople Photius dénonce l’hérésie latine. Dans sa Mystagogie du Saint-Esprit (890), il affirme que le Filioque compromet la «monarchie» du Père: ou bien la Trinité a deux principes, le Père et le Fils, ou bien, pour la spiration de l’Esprit, le Père et le Fils se confondent dans la nature commune. Et il précise que l’Esprit a son ekporèse «du Père seul». Au concile d’union de 879-880, l’Occident et l’Orient s’accordent sur le texte originel du credo de Nicée-Constantinople, mais le vrai problème a été éludé.

La séparation, qui a des causes multiples, entre l’Orient et l’Occident, ranime la controverse. En 1054, l’«amputation» du credo fait partie des nombreuses hérésies reprochées par le cardinal Humbert au patriarche Michel Cérulaire. De leur côté, les théologiens byzantins voient dans le «filioquisme», que la scolastique occidentale achève de systématiser, le seul obstacle proprement théologique entre Grecs et Latins. En 1274, le Concile de Lyon, où Byzance accepte un instant l’union pour des raisons purement politiques, énonce que l’«Esprit procède du Père et du Fils comme d’un seul principe». Cette définition est aussitôt rejetée par l’Orient, mais les meilleurs théologiens byzantins (Grégoire de Chypre au XIIIe siècle, Grégoire Palamas au XIVe, Joseph Bryennios au XVe) explorent la pensée latine, d’Augustin à Thomas d’Aquin, et, s’ils refusent les systématisations scolastiques, retrouvent la légitimité des deux approches patristiques. Les conditions politiques — l’irrésistible poussée ottomane — rendent sans effet, dans l’immédiat du moins, cette tentative. Au concile d’union de Florence (1438-1439), comme ce fut le cas à Lyon, Byzance, aux abois, accepte la conception occidentale, à peine dissimulée par un compromis verbal (l’identification de la procession «du Père par le Fils» à la procession «du Père et du Fils»). L’union rejetée par l’Orient, tout dialogue cesse pour des siècles, à de rares exceptions près, parmi lesquelles la position «œcuménique» de Maxime Margounios au XVIe siècle. Il faut arriver à l’interpénétration de l’Orient et de l’Occident, qui commence dans la pensée russe du XIXe siècle et se précise au XXe avec la dispersion orthodoxe et le mouvement œcuménique, pour que s’ébauche une compréhension réciproque. Les Thèses sur le Filioque de Bolotov, en 1898, mettent au jour la complexité des positions patristiques. Un travail décisif s’accomplit en France à la suite de la Seconde Guerre mondiale: Vladimir Lossky expose dans le langage même de l’Occident la position orthodoxe; Paul Evdokimov et un théologien orthodoxe d’origine française, Olivier Clément, insistent sur la relation de mutuel service, de mutuelle manifestation, qui unit le Fils et l’Esprit. Du côté catholique, le père J. M. Garrigues retrouve le sens originel de la processio et de l’ekporeusis ; le père L. Bouyer et le père M. J. Le Guillou estiment un accord possible sur les formules patristiques de l’Esprit, qui procède du Père dans le Fils à travers lequel il se manifeste.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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